Processus, Transe, Rituel – Aperçu des collections cinématographiques du Centre Pompidou

Programme présenté par Philippe-Alain Michaud, directeur des collections Avant que, dans la première décennie du siècle dernier, il ne devienne le reflet du monde – sa doublure immatérielle ou sa fiction – le cinéma est apparu, fugitivement, comme un pourvoyeur d’irréalité : pour Etienne-Jules Marey reprenant la question de la substance et reconstruisant une cosmologie à partir de l’hypothèse du mouvement, pour les opérateurs Lumière encore dressant, tout autour de la planète, le catalogue interminable de la circulation des mobiles (défilés, déchargements de bateaux, sorties et entrées de trains dans les gares…), la réalité n’a pas été l’objet du cinéma, mais un cristal dans lequel il voyait se refléter ses propre pouvoirs. Le cinéma expérimental a gardé la trace de cette conception originelle du film et n’a cessé, en se fermant à l’extériorité, de revenir en boucle sur ses composantes, s’éveillant ainsi à la conscience de son propre passé et à celle de son inscription dans l’histoire des images. Lorsque Gordon Matta Clark dans Fresh Kill anéantit sa camionnette dans la décharge de Staten Island, à travers le processus de destruction, il réinscrit le film dans l’histoire de l’expressionisme abstrait et créé un Pollock étendu aux dimensions d’un paysage; lorsque Jack Smith dans Flaming Creatures remet en scène sur un mode extatique les fantômes travestis de l’univers hollywoodien et transforme ses décors en purs amas décoratifs, il libère les images en mouvement de toute teneur objective pour faire de la répétition (du « remake ») leur principe d’intelligibilité tandis que l’invention filmique se change en dispositif interprétatif ou critique. Le film n’est pas une ouverture de la photographie au mouvement et au temps : celle-ci n’en constitue qu’une puissance, au même titre que la peinture, la sculpture ou le dessin ; l’écran n’est pas une fenêtre à travers laquelle le monde ou le reflet du monde s’étendent en profondeur mais une surface d’inscription sur laquelle viennent jouer des effets que l’histoire de l’art plus que l’histoire du cinéma nous a appris à reconnaître comme une surface matérielle. En dissociant, déplaçant ou réagençant les propriétés du film, le cinéma expérimental nous révèle sa dimension essentiellement plastique : il nous apprend à voir dans le défilement, la projection ou le montage non les instruments de la construction d’un monde illusoire, mais des agencements de surfaces. Désormais, l’histoire du cinéma nous apparaît comme une histoire locale qu’il convient, pour qu’elle retrouve son extension réelle et pour ainsi dire son opacité, de reconsidérer à partir de ses limites. Processus, transe, rituel : cela signifie animer des surfaces, produire des causalités irréelles, organiser la transformation des images en corps et des corps en images, faire apparaître et disparaître des figures. Délivrées de leur fonction de reflet, les images de cinéma, non fixées et lacunaires, apparaissent pour ce qu’elles sont : des déterminations instables visant non pas à reproduire le réel, mais à le transformer. Philippe-Alain Michaud PROGRAMME Lundi 14 Janvier Processus (durée totale : 73′) Splitting (USA/1974) de Gordon Matta-Clark et Robert Fiore (16mm, 11′) Conical Intersect (USA/1975) de Gordon Matta-Clark (16mm, 18′) Fresh Kill (USA/1972) de Gordon Matta Clark et Robert Fiore (16mm, 12′) Spiral Jetty (USA/1970) de Robert Smithson et Robert Fiore (16mm, 32′) vo sott it Mardi 15 Janvier Transe (durée totale : 55′) Flaming Creatures (USA/1963) de Jack Smith (16mm, 41′) Andy Warhol’s Exploding Plastic Inevitable (USA/1966) de Ronald Nameth (16mm, 14′) Mercredi 16 Janvier Rituel (durée totale : 58′) Kustom Kar Kommandos (USA/1965) de Kenneth Anger (16mm, 3′) Inauguration of the Pleasure Dome (USA/1954-1978) de Kenneth Anger (16mm, 39′) Quimeira (Brésil/2004) de Tunga et Erick Rocha (35mm, 16′)

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