Call for Papers | Corps troublants

11 Juin 2020

 

Appel à contributions

Atelier de recherche international en histoire de l’art

Corps troublants. Images et imaginaires dans la première modernité.

Académie de France à Rome – Villa Médicis

26-28 novembre 2020

 

Jamais un œil ne verrait le soleil

Sans être devenu semblable au soleil. [1] 

Non, vraiment, il n’est pas besoin de magie ni

de féerie, il n’est pas besoin d’une âme ni d’une

mort pour que je sois à la fois opaque et transparent,

visible et invisible, vie et chose : pour que

je sois utopie, il suffit que je sois un corps.[2]

[1] Plotin, Ennéades, I, 6, 9.

[2] Michel Foucault, Le Corps utopique, suivi de Les Hétérotopies, Lignes, [1966] 2009.

 

Présentation

Dans la culture visuelle de la première modernité, la représentation de corps contorsionnés, désarticulés ou fragmentaires, de visages grimaçants ou déformés par des émotions ou des actions particulières, de corps ouverts révélant organes et orifices, peut surprendre autant que perturber le spectateur d’aujourd’hui. Or, il serait trop réducteur de penser ces configurations corporelles et les dispositifs qui les mettent en exergue comme des expérimentations formelles, des trouvailles iconographiques, des motifs ‘excessifs’ voir transgressifs associés aux imaginaires infernaux ou oniriques, à l’esthétique du grotesque ou du ‘monde à l’envers’.

Ces images du corps provoquent une incongruité troublante, possiblement agressive, susceptible d’être perçue, ne serait-ce que de manière intuitive, comme signifiante et déconcertante. Mais qu’est-ce qui cause ce trouble ? D’où vient-il ? Peut-on définir et circonscrire cet affect ? A-t-il toujours été ressenti de la même manière à travers le temps et dans d’autres cultures que la nôtre ?

Éprouver cet état et considérer la manière de figurer le corps dans l’image comme troublante – c’est-à-dire agissant sur l’esprit et le corps du regardeur et, donc, pouvant orienter voire altérer sa perception de l’image – revient à interroger les points d’articulation entre deux objets de recherche complexes du point de vue historique et culturel : d’une part, la perception du corps, d’autre part, la définition de ‘trouble’ en tant qu’affect.

Ces expressions troublantes du corps – d’un corps toutefois reconnu par le regardeur comme ‘semblable’ au sien – émergent du contraste avec une conception idéalisée du corps pensé comme idée historique et comme acteur de toutes les utopies, sans cesse refaçonné et transfiguré par les constructions culturelles des sociétés (Foucault).

En donnant à voir un corps dés-idéalisé, certaines images prémodernes séduisent et interpellent en même temps qu’elles se chargent d’une agressivité, d’un pouvoir de provocation, d’une tonalité obscène ou risible ; elles peuvent être parfois déroutantes, dégoûtantes, ou même ‘excitantes’ à cause des configurations, des gestes, des postures et des mouvements ‘excessifs’, in-naturels, incongrus du corps qu’elles mettent en scène.

Ce genre de sentiment complexe mêlant incongruité, confusion et menace a été déjà éprouvé par le passé face à certains dispositifs visuels : devant le Jugement Dernier de Michel-Ange, Pirro Ligorio exprime le malaise provoqué par ce qu’il nomme un « chaos de corps faits en pâte », corps comme « dénoyautés », tordus, insensés et fuor di natura.

La distorsion, la fragmentation, la porosité du corps figuré lui confèrent une expressivité spécifique – car « le corps parle lui-même de lui-même » (Dekoninck) se faisant ainsi l’agent de phénomènes et significations qui débordent le cadre d’une approche iconologique. Ici l’implication de la sensibilité réceptrice est donc décisive ! La difficulté est alors pour l’historien de saisir comment le trouble – qui est un effet de séduction sensible – peut devenir consubstantiel à l’avènement et au pouvoir de l’image ainsi qu’à la transmission du sens.

Au-delà de l’inquiétante étrangeté que provoquent l’altérité, la difformité, l’hybridité ou la maladie du corps – des problématiques qui ont fait l’objet de nombreuses recherches –, cet atelier de recherche souhaite questionner les configurations visuelles par lesquelles l’image d’un corps devient troublante, de vérifier comment le regard prémoderne perçoit ce trouble et, enfin, définir historiquement et culturellement ce regard.

Cet atelier de recherche sera l’occasion de sonder la fécondité et la richesse de tels imaginaires dans la pratique artistique et dans la production d’images, au sens large. Il souhaite jeter une nouvelle lumière sur les pratiques et les phénomènes qui informent et affectent autant la production d’images que leur appréhension sensible, cognitive, psychique et physiologique. Il s’agira ainsi de penser le trouble provoqué par le corps figuré par le biais de questionnements d’ordre moral, sociopolitique, éthique, esthétique et culturel qui conditionnent l’idée même d’Humain, en multipliant les approches épistémiques, sans exclure les échanges entre aires chronologiques.

 

Cette rencontre est organisée à la suite des workshops qui ont eu lieu à Paris et à Tours. Ce cycle d’ateliers de recherche est le fruit d’une collaboration entre le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (CNRS-Université de Tours), le Centre André Chastel (CNRS-Sorbonne Université), l’IUAV Université de Venise et l’Académie de France à Rome.

 

Les propositions de communication (titre et résumé de 700 mots max) et un CV de 150 mots, en anglais, italien ou français, sont à envoyer avant le 29 février 2020 à Patrizia Celli ([email protected]) en précisant en objet « Corps troublants ».

Les candidats seront informés de la sélection aux alentours du 15 mars 2020 par courriel.

 

Organisateurs Francesca Alberti Académie de France à Rome – Villa Médicis ; Giovanni Careri IUAV Université de Venise/CEHTA-EHESS ; Antonella Fenech Kroke Centre André Chastel – CNRS/Sorbonne Université.

 

Corps troublants 2019